jeudi 10 décembre 2015

Jeudi 10 décembre 2015 au Colisée  de Mascara  à 18h00
 

  Projection du film 
 

 "Blade Runner"






S’il n’y avait que deux films a retenir, en matière de cinéma SF, ce serait sans aucun doute « 2001 : l’odyssée de l’espace" et « Blade Runner". En donnant au roman de Philip K. DICK un réalisme délabré, au moyen d’images tour à tour sombres ou éblouissantes, sur un rythme lent, presque hypnotique, Ridley SCOTT a signé un classique profondément émouvant, aux images inoubliables.
Distribution : Harrison Ford, Rutger Hauer, Sean Young, Daryl Hannah, M. Emmet Walsh, Edward James Olmos, Joe Turkel, Brion James, Joanna Cassidy...
d’après  « Do Androids Dream Of Electric Sheeps ? » [1966] de Philip K. Dick


RÉSUMÉ :
En 2019, les réplicants, ces droïdes utilisés par les humains pour accomplir les travaux ingrats ou difficiles, se sont révoltés. Ils sont désormais interdits sur Terre et un service de police particulier a pour tâche de les éliminer.

Rick Deckard appartient à ce service, il est un Blade Runner. Il se voit confier la mission de procéder au "retrait" de réplicants évadés d’une colonie spatiale. Quatre d’entre eux sont quelques part dans Los Angeles, c’est une quasi-certitude puisque que le cinquième fuyard a été "grillé" par les systèmes de contrôle du siège de la Tyrell Corporation, la puissante société qui les a conçu.

En fait, les réplicants sont en quête du moyen de prolonger leur existence : en "usine", ils sont programmés pour une durée de vie d’environ quatre ans au plus.
Plus forts physiquement que l’homme, ils sont des adversaires d’autant plus redoutables que rien ne les distingue extérieurement des êtres humains. La seule façon de les reconnaître est leur manque d’affectivité : ils ne ressentent pas d’émotion devant la mort.
Pour répérer les réplicants, il existe un test d’empathie, baptisé Voight-Kampff. Le Test V.K. mesure le poul et la dilatation des pupilles tandis que le sujet subit un questionnaire censé provoquer des réactions émotionnelles.

Sa mission d’exterminateur rend Rick Deckard de plus en plus impitoyable, de moins en moins humain ; à l’opposé, face à lui, les réplicants font preuve de plus en plus d’empathie, de sensibilité et même de sens moral.
La rencontre de Deckard avec Rachael, réplicante expérimentale employée par Tyrell lui-même, et la liaison qui commence entre eux, oblige le policier à revoir son système de valeur. Être humain est-il simplement une question de génétique ?
L’affrontement final avec Roy Batty, le leader réplicant, est l’apogée de cette remise en cause - et le prélude à la découverte par Deckard de sa propre nature : il est sans doute un réplicant lui-aussi.

LA TUMULTUEUSE HISTOIRE DE BLADE RUNNER

L’adaptation cinématographique de la nouvelle de P.K. DICK ne s’est pas faite sans mal : au menu de qui allait devenir un film-culte, dépassement de budget, retards de tournage, mésentente entre réalisateur, acteurs et producteurs... et flop commercial.

L’acteur Hampton Fancher acquiert les droits dès 1978, pour peu d’argent. Le producteur Michael Deeley [1] est séduit par son script et décide de monter le film. Il faut dire que la SF est en vogue au cinéma, après le succès de la saga Star Wars et du Alien de Ridley Scott.

Mettant toutes les chances de son côté, Deeley obtient de Ridley Scott qu’il réalise le film [celui-ci abandonnant finalement le « Dune » qu’il avait entrepris, au profit de David Lynch.] Mais le réalisateur demande une réécriture du script. Fancher pondra une douzaine de versions... avant de baisser les bras. David Webb Peoples reprend le script, et réussit à convaincre Scott - qui n’a jamais lu le roman de Dick et souhaitait s’en détacher davantage.


Pour des raisons de budget, le décor prévu [une ville glaciale dans la tourmente] devient celui d’une cité sombre, nocturne et battue par la pluie. La principale exigence de Ridley Scott au niveau visuel est la crédibilité : usure des bâtiments, cohues sur les trottoirs, invasion publicitaire, costumes réalistes [qui rappelle la mode des années 30], tout doit concourrir à rendre plausible sa vision de L.A. dans un futur proche. La SF de R. Scott sera crasseuse pour être réelle, réelle pour permettre aux interrogations morales et philosophiques d’avoir toute leur place.
Les bande-dessinées de Mœbius [graphiste sur Alien] ont clairement influencée la vision du réalisateur, lui-même dessinateur. Le travail du designer Syd Mead permet de créer un environnement adéquat : le véhicule utilisé par Deckard ressemble à une voiture de police volante.

Malgré un budget limité, le maître des effets spéciaux Douglas Trumbull [2] donne vie à ce futur fatigué, avec des vitres peintes, de grandes maquettes soignées dans le détail et une gestion magistrale de la lumière dans des amosphères épaisses et poisseuses.

Le tournage commence en avril 1981 et dès le début la tension est perceptible sur le plateau : Ridley Scott se montre exigeant et pointilleux, modifiant chaque jour le décor, imposant des horaires interminables aux équipes techniques et délaissant les acteurs.
Autre source de désaccord : Scott désire que Deckard découvre finallement qu’il est, lui-même, un réplicant - ce qui prolonge la question de fond posée par le film : qu’est-ce qu’être humain ? L’ennui c’est que cette idée déplaît à l’acteur Harrisson Ford, qui préfèrerait un héros plus positif. En rogne, l’acteur se fait mutique sur tout le tournage.

Un peu plus de quatre mois de tournage plus tard, le film fait l’objet de projections-test : la Warner est bien décidé à faire un carton avec ce film qui lui a coûté 20 millions de $. Et là, catastrophe : les retours des spectateurs sont très négatifs. Sont en cause l’atmosphère sombre et moite du film, une intrigue jugée compliquée et l’absence de happy-end.
La Warner exige de Ridley Scott qu’il retourne en montage... il est obligé de s’y plier. Le film est complètement transformé : l’intrigue est simplifiée, la voix off de Harrison Ford accompagne le spectateur, la fin est souriante : Deckard - qui n’est plus un réplicant - s’enfuit avec Rachael vers un soleil radieux.

De nouvelles projections-test s’avèrent cette fois concluantes, et le film sort sur les écrans américains le 25 juin 1982. Mais le succès ne sera pas au rendez-vous : avec 15 millions de $ de recettes, le film est un flop, boudé par le public, facilement distancé dans les salles par le « E.T. » de Steven Spielberg, et, au final, totalement absent aux Oscars.
Mais l’histoire ne s’arrête pas là...

Voila qu’en 1989 la version originale de « Blade Runner » est mystérieusement exhumée... et fait un tabac dans les festivals où elle est présentée ! Le phénomène est tel que la Warner finit par se laisser convaincre par l’idée d’une ressortie du film après remontage. C’est ainsi qu’en septembre 1992, dix ans après sa sortie, « Blade runner » revient sur les écrans, dans une version labellisée director’s cut


Ridley Scott n’a pas eu le champ totalement libre, mais il a pu se rapprocher de la version originale du film :

il a retiré toutes les voix off de Deckard : cela rend le film moins bêtement explicite et restitue la lenteur hypnotique de certains plans, uniquement portés par la musique de Vangelis.
il a coupé le happy end qui faisaient s’éloigner dans le soleil couchant Deckard et Rachael.
il a supprimé les scènes les plus violentes qui étaient présentes dans la version européenne du film.
il a ajouté un plan de 12 secondes, le fameux plan de la licorne : alors que Deckard, au piano, contemple de vieilles photos, il a la vision onirique d’une licorne d’une blancheur laiteuse dans une forêt. Cette licorne réapparaît, sous la forme d’un pliage laissée par Gaff, à la fin du film. Découvert par Deckard, ce pliage lui remet en mémoire les paroles de Gaff, prononcées à propos de Rachael : "Dommage qu’elle doive mourir, mais c’est notre lot à tous !". Ce simple plan de licorne, qui pourrait donc être un implant davantage qu’un rêve, vient renforcer le questionnement autour de la nature réplicante de Deckard.
Cette deuxième version du film remporte un vif succès en salle. « Blade runner », déjà film-culte, devient un classique de la SF. mais l’histoire ne s’arrête toujours pas là...

Car les fans du film ont fini par savoir qu’en réalité de nombreuses scènes filmées, et présentes dans la version originale, ne se trouvent pas dans la version Director’s cut de 1992. On évoque en particulier deux scènes lors desquelles Deckard rend visite à son collègue Holden à l’hopital.

Un vrai Director’s cut sortira-t-il un jour en DVD ? La rumeur voulait que Ridley Scott se remettre au travail pour le vingtième anniversaire du film, mais 2002 est passé sans que « Blade Runner » refasse surface. Des soucis techniques et des désaccords entre ayants-droits rendent le projet assez compliqués à réaliser, mais les fans n’ont pas cessé d’espérer...



L’ADAPTATION :

Dans son scénario, Hampton Fancher a simplifié l’intrigue sur de nombreux points, beaucoup trop au goût des puristes. Mais il a réussi un film cohérent, mélancolique malgré la dominante "action", et, en cela, respectueux de l’esprit du livre.
Philip K. Dick, qui est décédé quelques mois avant que le film soit achevé, eut le temps d’en lire le script et de visiter quelques plateaux. Il en revint, à l’époque, très enthousiaste.

Les principales différences entre le film et le livre :

le film situait l’histoire en 2019 à Los Angeles, quand le roman, signé en 1966, parlait de 1992 et de San Francisco.
le personnage de Rick Deckard n’est pas marié dans le film, ce qui permet à sa relation avec Rachael de naître plus simplement. Dans le roman, Deckard est marié.
dans le film, les personnages de Rachael et Pris sont distincts physiquement [interprétés par deux actrices] alors que dans le roman, elles sont deux modèles de réplicants similaires physiquement, ce qui introduit une ambiguïté supplémentaire dans la mission de Deckard.
seul le film utilise les termes "blade runner" et "réplicants". Le roman parle simplement de "andy" pour "androïdes" et ne donne pas de nom particulier au service qui emploie Deckard.
le film ne mentionne ni les retombées radiocatives qui accablent la Terre, ni l’orgue émotionnel, ni la boite d’empathie.
La bande-originale du film, qui même synthétiseur et musique classique, est signée Vangelis, qui avait reçu l’Oscar de la Meilleure Musique de Film un an auparavant pour Les Chariots de feu [1981] de Hugh Hudson.


LES SYMBOLES DANS « BLADE RUNNER » :
Ridley Scott a su donner de la profondeur à son film en utilisant une symbolique visuelle très forte autour de deux éléments récurrents dans le film, les yeux et les animaux.
- Les yeux : Parmi les premières images du film figure un plan très serré d’un oeil, dans lequel se reflète l’horizon nocturne, les pyramides Tyrell et les lumières de la mégalopole. A qui appartient cet oeil ? Cela n’est pas dit. En conséquence, cet oeil devient "l’oeil" humain, le signe de sa conscience, de sa solitude aussi face à l’ample mégalopole sombre. Un symbole qui revient dans de nombreuses scènes.
C’est sur la pupille des réplicants que se focalise l’appareil utilisé pour le test d’empathie de Voight-Kampff. La dilatation de la pupille trahit les émotions du sujet face aux questions posées. L’oeil ne peut mentir, il est bien le miroir de l’âme : à travers lui, on perce l’être à jour.
Chew, le généticien asiatique auquel Roy et Leon, les deux réplicants, rendent visite dans son laboratoire réfrigéré, est le créateur de leurs yeux synthétiques, qui leur donnent la vue mais peuvent aussi les trahir.
Des reflets rouges fugaces révèlent, dans plusieurs plans du film, la réalité factice des réplicants. Un reflet rouge identique trahit le hibou artificiel perché dans les appartements de Tyrell. Mais Deckard lui aussi renvoie dans un plan rapide un reflet peu naturel.
Tyrell, enfin, portent des lunettes aux verres énormes qui semblent accréditer sa toute-puissance. Et lors de la confrontation avec Roy, sa créature, le réplicant l’assassine en prennant sa tête entre ses deux mains pour enfoncer ses pouces dans ses orbites. "If only you could see what I’ve seen with your eyes." dit-il.
- Les animaux : Dans le roman de Philip K. Dick, la disparition des animaux est la conséquence de la guerre nucléaire et de la pollution de la planète. Dans le film, la rareté des animaux est soulignée par des allusions : ainsi, à une question de Deckard à propos de son serpent, Zora réplique « Si j’avais les moyens de m’en offrir un vrai, je ne serai pas là ».
Mais la symbolique animale permet aussi d’enrichir la caractérisation de certains personnages :
Tyrell possède un hibou, animal auquel est traditionnellement associée une certaine sagesse - mais qui ne voit que la nuit.
Leon est associé à une tortue : l’animal est mentionné dans le test de V.K. auquel il est soumis au début du film.
Le maquillage de Pris [visage blanc, noir très épais autour des yeux] lui donne des airs de chat ou de raton-laveur.
Zora est associée à son serpent. Ce sont d’ailleurs les écailles synthétiques du reptile qui la trahissent. Elle se montre aussi agile et dangereuse que lui.
Roy Batty hurle comme un loup lorsque qu’il apprend la mort de Pris. A la fin du film, en revanche, il est accompagné de colombes blanches, symboles de pureté.

Le choc visuel de Blade Runner n’a rien perdu de son efficacité 20 ans après sa sortie - ce qui est exceptionnel pour un film de genre.
S’il est devenu un film culte et une référence du cinéma de SF c’est aussi parce qu’il est le premier film de SF réaliste... à une époque ou science-fiction ce disait Star Wars sur grand écran. Les dialogues sont allusifs, les personnages ambigüs, les décors décrépits, plongés dans une nuit pluvieuse zébrée par les néons commerciaux, loin des cités-du-futur lisses et aseptisées souvent présentées au cinéma.
Los Angeles en 2019 est enfin crédible dans toute son humanité paumée.
Inoubliable : la scène d’ouverture, lent survol nocturne de Los Angeles, approche en lévitation de l’impressionnante pyramide de Tyrell Corp., entre les flammes des cheminées industrielles... Blade Runner possède une beauté crépusculaire indépassable.