jeudi 3 novembre 2016

Jeudi 3 novembre 2016 au Colisée  de Mascara  à 18h00


Projection du film documentaire "Ici on noie les algériens"




Un film sur la tragédie du 17 Octobre 1961 en France

" Ici, on noie les Algériens". Le slogan, écrit sur un parapet, le long de la Seine, est aussi le titre du film de Yasmina Adi. Cinquante ans après les événements du 17 octobre 1961, la réalisatrice tente de faire la lumière sur la répression sanglante d’une manifestation d’Algériens qui protestaient contre le couvre-feu. Son but : « révéler la vérité » et la rendre accessible au grand public. 

Paris, bord de Seine, la nuit. Flûte berbère... L’eau clapote sous un rayon de lune. A l’arrière d’une voiture, sur le pont, une vieille femme se souvient : « Il en a mangé ce fleuve. Il en a pris des hommes… » Elle évoque ses enfants : « Mohamed, Kamel sont restés orphelins. Aïsha et Malika pleurent toujours... Quand on frappait à la porte, ils accouraient : « Voilà Papa !» Chaque fois qu’elle passe par là, elle implore le Seigneur : « Fais de moi une plongeuse que je retrouve ses os. Que je puisse l’enterrer dignement. » Le décor est planté. Cinquante ans après la manifestation d'Algériens, le 17 octobre 1961, brutalement réprimée, à Paris, une chape de plomb pèse toujours sur ces événements.

« 30 000 Nord-africains » auraient manifesté

Fourgonnettes de polices devant le Gaumont-Théâtre, voitures cassées boulevard Poissonnière dans le 2ème arrondissement, des photos d’archives en noir et blanc nous plongent dans la réalité de la France de l’époque. Des hommes, mains sur la tête, Place de l’Etoile, sont entourés des forces de l’ordre. Une voix nasillarde à la radio résume les faits : « Plusieurs nuits durant, les forces de police sont restées en état d’alerte à Paris à la suite de manifestations auxquelles ont pris part 20 000 musulmans algériens. » Le ministre de l’Intérieur, Roger Frey, parle plus tard de « 30 000 Nord-africains qui auraient participé à cette manifestation contre le couvre-feu ». Le bilan officiel (qui tient toujours en 2011) est de 3 morts et 64 blessés. Mais les bilans officieux varient entre 100 à 200 morts.


Confrontation d’archives


Comment une telle répression a-t-elle pu avoir lieu en plein cœur de Paris ? En filigrane dans le film : un contexte de fortes tensions. Nous sommes trois ans après l’arrivée du général de Gaulle au pouvoir, à quelques mois de l’indépendance de l’Algérie par les accords d’Evian (18 mars 1962), signés entre le gouvernement français et le Front de libération nationale (FLN) algérien, accords qui ont marqué la fin d’une guerre d’indépendance débutée le 1er novembre 1954. Les négociations ouvertes six mois plus tôt avec le gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA) sont au point mort. Et le FLN appelle à une manifestation « pacifique » à laquelle participent femmes et enfants. Elle fait cependant suite à des attentats meurtriers contre des policiers (11 morts), d’où le couvre-feu imposé par le préfet Maurice Papon aux « Français musulmans d'Algérie » pour « mettre un terme aux agissements criminels des terroristes ».
La réalisatrice, Yasmina Hadi, a effectué deux ans d’enquête pour rassembler ce matériel varié fait d’archives – de rapports officiels, d’articles de presse écrite, filmée et sonore, d’agences photos. Elle a retrouvé aussi de témoins de l’époque. De tels récits demeurent encore tabous, tant au sein de la communauté algérienne que de la société française. D’où l’émotion de certains témoins devant la caméra, qui souligne la dimension humaine de ces « mères courage » par exemple, comme les appelle affectueusement la réalisatrice. Son but : apporter des informations croisées et recoupées, « pour respecter au mieux la vérité historique et démêler la trame des événements ».
Presque heure par heure, le film confronte la version officielle avec des images inédites et identifie les « moments-clés de la répression ». Ainsi, un journaliste d’Inter-Actualités rapporte « les cris hostiles, les slogans FLN, les voitures malmenées, retournées » avant d’affirmer : « Des coups de feu claquent chez les manifestants. Les forces de l’ordre ripostent ». Des propos démentis par une activiste de l’époque, qui se défend : « On était là pour réclamer nos droits mais pas pour casser. (…) On n’avait le droit de rien faire. Alors, nous et nos frères sommes sortis manifester pour la levée du couvre-feu. »

« Ils nous avaient barré tous les accès »

Surprenantes aussi, ces archives inédites de la salle de commandement de la préfecture, qui échange avec les policiers sur le terrain. Dans la salle en ogive à plusieurs étages où se superposent des bureaux vitrés, les renseignements généraux sont à l’œuvre. Un informateur annonce : « Le FLN a ordonné à tous les Algériens de sortir ce soir manifester sur tous les grands axes de circulation de la capitale… » Information transmise à l’état-major. Les points de rassemblement sont nombreux : Place de l’Etoile, Place de la Concorde, Grands Boulevards – d’Opéra à Bonne Nouvelle – et Saint-Michel. On les voit pointés au bout de la perche de cet agent, debout devant un plan de Paris qui occupe tout le mur.
Des témoins racontent le quadrillage policier dans les rues, mais aussi en amont, dans les immeubles, relayé par des concierges qui conseillent aux Algériens de « ne pas sortir ». La vieille militante : « Ils nous avaient barré tous les accès. Les gens venaient de partout : Saint-Denis, Gennevilliers, Nanterre, Colombes. » En autobus, en métro, à pied… Sur le Pont de Neuilly, la foule est immense en direction de Paris. Mais soudain, des gens se mettent à refluer, en panique. « On a entendu des coups de feu. » (…) « Fuyez, des policiers tuent les gens et les balancent dans la Seine ».
Au QG des RG, les forces de l’ordre réclament des renforts. Les arrestations se multiplient devant l’Olympia, aux Folies Bergères. Les dérapages vont de pair. Une femme aux cheveux blancs témoigne. Elle a vu à la Concorde des gens face au mur, sur le quai, mains sur la tête, en état d’arrestation, surveillés par des policiers armés de matraques. Autre témoin, un vieil homme, qui atteste avoir vu entre Notre Dame et Saint-Michel trois personnes jetées dans la Seine, un par-dessus le parapet et deux autres sur le quai. « Jetés. Les gens ne sont pas tombés d’eux-mêmes. »
Aux RG, un policier raconte que des journalistes de l’Aurore ont été empêchés de photographier un groupe de 500 Algériens parqués dans le tunnel du métro à Concorde. Un commandant du 5e district affirme qu’il a dû intervenir à Concorde car les responsables ne tiennent pas leurs troupes. En pleine Guerre d’Algérie, les forces de l’ordre sont habituées à « casser du bougnoule ».

Venus des 89 bidonvilles autour de Paris

Manque de cargos et de panier à salade… Qu’à cela ne tienne. Les manifestants arrêtés sont convoyés par des bus de la RATP : parqués comme des sardines. « On ne savait pas où on allait », disent les rescapés. La peur au ventre, ils sont passés à tabac, blessés. Le lendemain, la presse y va de son commentaire « Ils ont pris le métro comme on prend le maquis », ironise Paris Jour. Premier bilan : 11 538 arrestations. Jusque dans les bidonvilles, des contrôles de police continuent les jours suivants.
Le film de Yasmina Hadi reste très pudique sur la condition de vie des immigrés algériens en 1961. A peine quelques photos pour aiguiser notre imaginaire. En 1963, 43 % des Algériens de France vivaient dans des bidonvilles. Celui de Nanterre, un des 89 bidonvilles autour de Paris, abritait près de 10 000 Algériens. Venus de l’autre bord de la Méditerranée avec leurs familles, ils ont fui la misère des campagnes encore aggravée par la généralisation de la guerre, et répondu aussi à l’appel de main-d’œuvre en métropole en cette période des Trente Glorieuses. Avec les Portugais et les  Espagnols, les Maghrébins formaient l'essentiel d'une main-d'œuvre abondante, très peu qualifiée et bon marché. Parmi les « Français musulmans » qui bénéficiaient de la liberté de circulation jusqu'en 1962, les immigrés algériens étaient environ 600 000 en 1965.

« Conduits dans des foyers sociaux »

C’est de ces bidonvilles, aux périphéries de Paris, que sont partis les manifestants. De là que, très vite aussi, la rumeur s’est répandue selon laquelle des gens n’ont pas réapparu. Des gens dont on n’a aucune trace. Soucieux d’équilibre, le film produit cependant des témoignages d’autres manifestants sauvés par des inspecteurs de police plus scrupuleux. Ou des témoignages d’infirmiers faisant part des traitements inhumains de ceux qui affluent au stade. Ils rapportent leurs cris voire leurs hurlements. Emmenés pour contrôle d’identité, ils sont bousculés dès leur arrivée tant par des supplétifs que par des gendarmes, des CRS ou l’armée. La consigne des RG : ne pas dire qu’ils sont arrêtés mais « conduits dans des foyers sociaux ».
Un nouveau bilan de Roger Frey, ministre de l’Intérieur, indique qu’ils étaient 6 600 parqués comme du bétail au Palais des Sports de la Porte de Versailles, 1 800 au Stade de Coubertin et 660 à Vincennes. Les agitateurs, dument pointés sur les listes, seront renvoyés en Algérie.
Plus tard, devant l’Assemblée nationale, le Premier ministre, Michel Debré, parle de 14 000 musulmans algériens arrêtés, sur lesquels 11 000 ont été relâchés et 500 qui le seront dans les prochains jours… L’opposition a réagi. Jacques Duclos puis Gaston Deferre rendent responsable Roger Frey de ces événements et de l’attitude de la police et réclament une commission d’enquête parlementaire… Jean-Paul Sartre manifeste, avec les porteurs de valises. Toute une histoire. Quant au nombre de victimes, il reste incertain. Jetés dans la Seine, tués par balle ou morts le crâne fracassé par des manches de pioche ou des crosses de fusils ? Les familles de 90 de ces personnes, mortes ou portées disparues, réclament toujours officiellement à la France d’être enterrées dans la dignité.

Antoinette Delafin